POLITIQUES DE L'UNION EUROPEENNE : La Cour de Justice Européenne et le Droit Communautaire.

Publié le par Diplomate0669

CM Didier Chabanet - salle CR06

Mercredi 3 février 2010 - 12h00 / 13h45 (séance 3).

L'importance du droit communautaire et l'organisation d'une justice européenne sont reconnues par tous, chez les juristes évidemment mais également chez les politologues qui s'intéressent à la sociologie du droit. Cette importance s'explique car aucune autre organisation internationale que l'U.E ne peut se prévaloir d'une telle primauté de son propre droit sur chacun des ses États membres avec une Cour de Justice (CJ) qui est habilitée à trancher les litiges entre le droit international et communautaire d'avec les droits nationaux.

Avec le principe de la primauté du droit communautaire (DC) sur le droit national et en contraignant les États à mettre en œuvre les décisions prises dans le cadre communautaire, la CJ est de toutes les institutions européennes celle qui est allée le plus loin dans le sens de la limitation de l'autonomie nationale. Ainsi, il existe un débat juridique qui est un élément à part entière du processus d'intégration politique. C'est le constat que l'on peut faire de la situation actuelle mais ce ne fut pas toujours le cas.

A la fin des années 1960 surviennent deux crises politiques de grande importance. Il s'agit de(s) crise(s) agricole(s) et de la crise de la politique de la « chaise vide » (1965-1966).A cette époque, la CJ est absente de la gestion des crises. Les traités ne prévoyaient pas les prérogatives actuelles . En fait les CJ se les sont octroyées au fil du temps.

A la fin des années 1960 apparaît une définition de sa primauté : « au sein de l'aire de l'application du DC, toute norme communautaire, quelque soit sa nature l'emporte sur toute autre norme nationale concrète qu'elle soit antérieure ou postérieure ». C'est donc à l'aide de coups de forces juridictionnels que la CJ s'est imposée. Nous avons là la véritable marque d'un fédéralisme juridique. De ce fait, la CJ a la compétence de sa compétence dans l'ordre juridique communautaire. Elle décide elle-même les normes qui entrent dans la sphère d'appel du DC.

Il est particulièrement intéressant de noter que les trois grandes institutions politiques de l'U.E ont chacune leur propre service juridique. Le service agit à plusieurs niveaux que ce soit pour donner un avis sur les procédures ou sur la légalité des mesures envisagées ou pour intervenir directement devant la CJ. Le service juridique de la Commission est particulièrement importante. Son influence se situe dans toute la gamme politique communautaire puisqu'il est consulté au tout début de chaque procédure sur les textes élaborés par les services de la Commission et les avis communautaires juridiques sont joints au collège des commissaires. Il y a donc un encadrement juridique total. Au sein des consultant bruxellois, plus de la moitié sont des avocats. C'est la même chose pour le fonctionnement des parlements européens.

Le DC s'impose donc comme un savoir généraliste, transversal dans la gouvernance européenne et un droit de maîtrise paraît nécessaire pour tous ceux qui d'une façon ou d'une autre veulent participer au débat ou au fonctionnement des institutions européennes.



Cette situation est due en partie à un facteur structurel. Il faut mentionner le fait que le système institutionnel communautaire est complexe car il se chevauche en permanence deux sortes de distribution du pouvoir :

  • la distribution verticale entre l'UE et les États membres.

  • La distribution horizontale entre les différentes institutions de l'UE.

Cette situation est propice et suscite des conflits de compétences donc le droit se trouve sollicité pour arbitrer certaines situations. On peut de même ajouter des causes d'ordre plus politique. Les partis politiques au niveau national cherchent systématiquement une solution négociée et politique plutôt que d'engager une procédure judiciaire, surtout qui s'avère lourde dont l'issue est incertaine. Les possibilités de recherches de solutions politiques sont limitées à cause de la faible influence qu'exercent les partis politiques européens.

C'est alors que s'impose le système communautaire de « Check & Balance », qui veut dire existence de procédure de contrôle et de contre poids. C'est un système au sein duquel chaque institution bénéficie d'une autonomie importante d'où l'importance du droit et de la procédure d'arbitrage. L'expression « une Europe par le droit » est fréquemment utilisée. Intégrer le DC est un critère obligatoire d'adhésion pour les pays candidats à l'entrée dans l'UE. Ce droit s'incorpore toujours plus dans celui des États membres. Ces derniers sont en réalité responsables de la bonne application du DC sur leur territoire. Le rôle de la CJ est donc de veiller à cette bonne application.



Quels sont les modes d'organisations de la CJ ?

  • La CJ ne doit pas être confondues avec la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH), issue du Conseil de l'Europe (CE) et mise en place en 1959. Le but de la CEDH est de juger les prinicpes fondamentaux de la convention des Droits de l'Hommes. Elle peut être saisie par des particuliers à condition que ces derniers aient épuisés tous leurs recours nationaux. Il y a en moyenne 30 000 requêtes par an.

  • La CJ ne doit pas être confondue avec la Cour Internationale de Justice (CIJ) qui siège à La Haye et qui est un organisme de l'ONU depuis 1945 et la charte des Nations Unies. Sa mission est de régler les différends d'ordre juridique qui lui sont soumis par les États conformément par le droit international. Elle donne également un avis consultatif par rapport aux questions des organes spécialisés de l'ONU.



La CJ quant à elle a été créé en 1952 en lien avec le processus de création de la CECA. Son appellation exacte à son origine était la suivante : la Cour de Justice des Communautés Européennes. Son nom a été dernièrement modifié avec le traité de Lisbonne en : Cour de Justice de l'Union Européenne. Elle se situe à Luxembourg et son rôle est donc de veiller au respect du DC et c'est la seule institution qui est compétente pour interpréter les traités européens.

La CJ est composée d'un juge par État membre de manière à assurer une représentation de chaque système juridique national. Les juges sont nommés par chacun des gouvernements des États membres pour une durée renouvelable de six ans. Ces juges nomment à leur tour et parmi eux le président de la CJ pour une durée renouvelable de trois ans. La CJ peut siéger de trois façons différentes : en assemblée plénière pour les dossiers particulièrement importants et exceptionnels, en «Grande chambre » lorsqu'elle comprend 13 juges et en « Petite chambre » lorsque ses juges ne sont pas plus de 3 à 5 à être présents.

La CJ est de plus en plus sollicitée ce qui a amené le CE à lui adjoindre un Tribunal de première instance (TPI) en septembre 1989. En novembre 2004, le CE adjoint au TPI une chambre juridictionnelle compétente pour statuer sur les litiges entre les communautés européennes et leurs agents. C'est ce qui sera nommé le Tribunal de la fonction publique de l'Union Européenne (TFP).



La CJ peut être saisie dans un certain nombre de cas :

  • Le recours en manquement. Il a pour but de sanctionner la violation par un État membre d'une obligation communautaire, à cause notamment d'une mauvaise transposition d'une directive du droit international. Dans la quasi totalité des cas, les recours sont formés par les communautés européennes mais peuvent aussi en droit être formés par les États membres. Si le constat d'un manquement est effectif alors un arrêt s'impose à l'État membre concerné. Si l'État membre ne s'y conforme pas, la CJ peut lui infliger des sanctions pécuniaires à la demande de la Commission.

  • Le recours en annulation. Il a pour but d'annuler un acte des institutions communautaires. Les recours sont formés par les États membres , également par les institutions communautaires mais aussi par des personnes physiques et morales qui doivent être « directement et individuellement concernées par l'acte qu'elles attaquent ». Cette dernière condition est rarement remplie car l'UE ne produit pour ainsi dire pas ou très peu d'actes nominatifs.

  • Le recours en carence. Il a pour but de sanctionner le défaut d'une action d'une institution. Cette démarche peut être formée par les États membres, les institutions européennes et des personnes physiques et morales (avec les mêmes critères que précédemment).

  • Le recours en réparation. Dans ce cas précis, la CJ peut demander de réparer les dommages liés à des institutions ou à des agents dans l'exercice de leur fonction.

  • Il existe également une possibilité de pourvois, ces derniers limités aux questions de droit, sans qu'il n'y ait de jugement sur le fond des faits.

  • Le renvoi préjudiciel. Cet acte est fondé sur le principe de collaboration entre les juges nationaux et les juges communautaires. Lorsqu'un juge national doit appliquer le DC, il peut poser à la CJ une question dite « préjudicielle ». Les arrêts rendus par la cour sur ces renvois ont une force obligatoire. Il y a de même une diffusion de ces arrêts à l'ensemble des États membres. Ces derniers ont la possibilité de déposer des observations, écrites ou orales, avant que la CJ ne réponde de manière définitive à la question posée par le juge national afin de donner leur avis sur l'interprétation à donner à la législation faisant l'objet de la question. C'est dans le cadre de ces renvois préjudiciels que tout citoyen européen peut faire préciser les règles de l'Union qui le concerne. En effet, bien que ce renvoi ne puisse être formé que par une juridiction nationale, toutes les parties présentes devant cette juridiction peuvent participer à la procédure engagée devant la CJ. Le renvoi préjudiciel permet aux particuliers de soumettre indirectement certains litiges à la CJ par le biais d'une juridiction nationale. Ceci a pour objectif d'encourager des personnes privées à saisir les juridictions nationales, à condition qu'ils estiment que ces juridictions ignorent le DC. Cette possibilité a eut un impact très considérable sur l'évolution des contentieux communautaires. Aujourd’hui, c'est à travers les revois préjudiciels essentiellement et indirectement à l'initiative des personnes privées que le comportement des États membres est soumis au jugement de la CJ. Ce veut dire que ce sont les particuliers européens qui sont de fait les meilleurs protecteurs de l'application du DC. Les renvois préjudiciels représentent la moitié des arrêts rendus par la CJ !

    Ce constat est très important et pour le moins étonnant car rien ne laissait présager une telle situation. La CJ a donc élargie les possibilités d'utilisation de la sphère juridique par les personnes privées. Nous pouvons citer plusieurs exemples : celui des grands magasins qui dénonçaient à une certaine époque auprès de la CJ les dispositions interdisant l'« ouverture dominicale » ; celui des groupes défendant les droits des femmes qui ont tiré parti du principe d'égalité de traitement énoncé à l'article 119 du traité de Rome pour tenter d'obtenir des avantages sociaux qui leur étaient refusé au niveau national.

Les contentieux européens peuvent être le fruit de ce que certains appellent la « convergence des motivations spécifiques ». C'est à dire que les plaignants trouvent à travers la jurisprudence de la CJ le moyen de promouvoir les intérêts de la CJ et cela a pour objectif de démanteler les entraves aux échanges économiques. Les recours sont de nature complexes et aléatoires. La CJ doit tirer des règles à appliquer aux litiges qui lui sont soumis à partir de disposition qui sont souvent vagues. En moyenne, la durée d'une procédure préjudicielle auprès de la CJ est d'environ 18 mois. La possibilité qui consiste à ériger des individus ou des groupes privés en acteurs du processus d'intégration est finalement limitée. Les groupes dépourvus de moyens n'ont de fait pas accès à la CJ. Les grandes sociétés ou les groupes d'intérêts structurés en sont les bénéficiaires. On peut même catégoriser ces deux types d'acteurs par rapport à l'image et à la figure du participant fréquent, que l'on nomme aussi « repeat player », où il s'avère que l'acteur qui dispose de l'expérience et des ressources nécessaires va multiplier les procés pour atteindre un objectif à long terme. Un procès même perdu peut alors permettre d'attirer l'attention de l'opinion publique sur un problème et ainsi faire bouger les lignes et à terme arriver à ce qu'il y ait des prises de positions politiques ou tout simplement faire en sorte d'engendrer suffisamment de procédures pour entraver l'application de règles qui nuisent à leurs intérêts.

Par exemple, vers la fin des années 1980 en Grande-Bretagne, plusieurs grandes chaînes de magasin ont sollicité la CJ à cause du principe de la fermeture dominicale. Après une bataille administrative au sein du gouvernement britannique, les grandes chaînes ont invoqué leurs pertes financières en raison de l'interdiction de l'ouverture en faisant valoir qu'un pour-cent significatif de leur chiffre d'affaire provenait de la vente de produits importés par d'autres États membres. Alors, la législation britannique représentait une entrave aux échanges européens. La CJ n'a pas jugé car elle a laissé au juge britannique de juger lui-même au cas par cas si la fermeture était véritablement un facteur de restriction injustifié et excessif au principe du libre échange. Sur un plan juridique, il n'y a donc pas de décision, mais sur un plan pratique cette décision a favorisé les grands magasins car pendant toute la durée du procès ils ont pu continuer d'ouvrir le dimanche et l'arrêt de la CJ a permis d'entamer de très longues batailles juridiques à chaque fois qu'un conseil nouveau décidait d'appliquer la loi.



Aujourd'hui le DC est donc actif par rapport à son mode de fonctionnement ; les tribunaux nationaux et européens sont ainsi en mesure d'exercer une influence forte sur les décisions politiques.

A travers une interprétation audacieuse des traités, la CJ a progressivement élargie sa marge de manœuvre avec les acteurs publics. et surtout privés. Ce qui fait que les raisons d'agir sont fournies par la voie juridique. Il y a donc cette fonction créatrice de « dire le droit ». Mais cette tendance à la juridification peut aussi poser problème et en particulier peut affaiblir la législation politique du processus d'intégration. L'UE souffre d'un déficit politique évident. La juridification a tendance a aggraver cette situation car le droit a tendance à donner des arbitrages en principe politiquement neutre dans le but de se substituer aux luttes partisanes. Nous avons alors la vision d'une baisse de la démocratie citoyenne au profit d'une démocratie contentieuse, ce qui entraîne à l'heure actuelle la dénonciation du gouvernement des juges.

Sans trancher, il est clair qu'un ordre juridique s'est progressivement imposer. Son principal symbole demeure dans la rédaction de la charte des droits fondamentaux. Cet ordre juridique a un horizon problématique dans la perspective d'une intégration spécifiquement politique.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article